Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Angoulême 2019 : un signal « Very Bat(h) » envoyé à la BD !
Angoulême 2019, c’est bien fini et chaque heureux amateur de bande dessinée qui aura pu faire le voyage se réjouit encore d’une édition plutôt riche en animations et en émotions. Spécialité de la rubrique comics oblige, il ne sera proposé ici qu’un retour rapide et subjectif, axé sur seulement deux des plus grosses expositions du festival et sur les quelques rencontres que j’ai pu personnellement effectuer en seulement deux jours. Une interview de Noah Van Sciver et Charles Forsman suivra.
« Neverwhere : it’s Here ! »
Arrivé au sommet du piton rocheux bien connu des amateurs du festival angoumoisin, rendez-vous était pris dès le début d’après-midi de jeudi pour découvrir l’exposition consacrée au grand prix 2018 : l’Américain maestro Richard Corben. Quelle chance incroyable de pouvoir imaginer cet événement, après tant d’années de relégation dans le milieu underground de la BD et dont l’auteur est issu. On ne remerciera jamais assez Laurent Lerner des éditions Delirium d’avoir repris si brillamment le flambeau de ses publications récentes, parmi les plus remarquables de sa longue carrière.
L’exposition, située dans le musée d’Angoulême, à quelques pas de la cathédrale, partageait l’imposant volume du bâtiment avec celle du mangaka Tayou Matsumoto, située, elle, au rez de chaussée et au premier étage. La queue était déjà longue pour l’auteur asiatique, ce qui donne une idée du phénomène manga dans la capitale de la BD aujourd’hui. Il fallait être donc plus sportif pour gravir les trois étages amenant jusqu’au Graal américain.
L’idée de base a été d’imbriquer les œuvres du créateur de Den au sein des collections du musée. Un choix qui peut surprendre au départ, mais s’étant avéré au final pas déplaisant, car le fantastique ésotérique de Richard Corben s’accommode bien de reliques tribales océaniques ou africaines. N’a-t-il d’ailleurs pas illustré nombre d’histoires se déroulant dans ces milieux !? Débutant avec des œuvres noires et blanches des années soixante, tirées de ces travaux pour Warren (dont de beaux petits dessins format cartes placés sous vitrine) mais aussi avec la diffusion sur un petit écran du film « Neverwhere », les visiteurs sont vite amenés vers la couleur, partie intégrante de l’œuvre du Texan.
Accompagnés dès le départ d’explications précises de son travail, ses premiers essais sous forme de calques couleurs, en format A4, vont évoluer, au fur et à mesure de la visite, pour révéler au final des peintures grand format. Le parcours technique effectué est sensible et époustouflant, s’étale sous nos yeux, pour ne plus nous lâcher, quand bien même d’autres planches noires et blanches, réalisées avec davantage de maîtrise dans les années 90 et 2000 nous sont présentées.
Si Cage, Banner, Hellblazer, The Punisher ou Hellboy nous font de l’œil… que dire devant la couverture originale de « Den » T1, présentée ici sous forme d’une huile sur canevas, format tableau de maître ? Une toile dont on est suffisamment prêt pour détailler la trame. Heureusement qu’un gardien est là, veillant à sa sécurité.
Toutes les autres peintures n’auront cela dit pas la chance d’être ainsi mises en valeur, ayant été placées derrière des vitrines, au milieu des collections, voire quelques fanzines d’époque. Bah…une bien piètre déception, liée surtout à l’impossibilité de tout prendre en photo correctement.
Mais comme les choses sont bien faites, un superbe catalogue grand format cartonné a été édité pour l’occasion. Il est magnifique et complète parfaitement « Vols fantastiques » seule monographie précédemment éditée en 1981 par Fershid Barrucha. Dommage qu’il n’ait été tiré qu »à 1000 exemplaire, et qu’une fois le festival terminé, il soit déjà épuisé.
« Neverwhere », vous avez dit ? Une belle réussite quoi qu’il en soit.
> Lectures : Si vous débutez avec cet auteur ou si vous souhaitez entreprendre une découverte de son univers, précipitez-vous sur les publications des éditions Délirium, révélant l’Alpha et l’Omega de l’artiste. Sont disponibles en effet dans de beaux albums reliés cartonnés couleur et noir et blanc l’essentiel des premières œuvres éditées chez Warren (« Eerie et Creepy présentent : Richard Corben vol. 1 et 2 »), mais aussi les plus récentes publications chez Darkhorse, ayant remis en lumière le talent toujours aussi incroyable de l’auteur, à savoir l’excellent « Ragemore », le très bon « Esprits des morts », le magnifique « Ratgod » et l’inattendu et bouleversant « Grave les contes du cimetière ». On n’oubliera pas non plus le très beau « Aliens Alchemy », réédité par les éditions Wetta dans une édition cartonnée de qualité en 2018.
L’heure de gloire de Mister Corben a enfin sonné, et, après des années de « vaches maigres », en tous cas en France, force est de constater qu’une grande partie de sa bibliographie redevient disponible, même si l’essentiel des parutions des Humanoïdes associés, dont « Den », « Bloodstar » ou « Ogre » et « Rolf », pour n’en citer que quatre incontournables, restent à rééditer..
Panini comics propose de son côté deux bons ouvrages, mettant en valeur son passage chez l’éditeur Marvel dans les années deux-mille : « L’Antre de l’horreur » (réédition), est le premier. Superbe grand format noir et blanc magnifiant le trait de l’auteur, sur ces belles histoires adaptées d’Edgar Alan Poe et Howard Phillip Lovecraft. Une édition enrichie des histoires du maitre de « Providence » qui étaient restées inédites en français.
Quant au recueil « Banner, Cage, Ghost Rider, Punisher », il rassemble dans un beau volume cartonné les quatre chapitres bien sombres et glauques que notre héros Texan a consacré aux licences de super-héros Marvel suscitées. Une page d’introduction rappelle le contexte de manière très informative, et le plaisir est à la hauteur.
On n’oubliera pas les éditions Delcourt, qui ont choisi de rassembler en un seul volume les histoires du Hellboy dessinées par Corben ces dernières années et précédemment publiées dans la série principale ou « BPRD ». Gageons cependant que quelques inédits, comme « Les Contes du diamant noir » pourront trouver acquéreur très prochainement (Monsieur Lerner, si vous nous lisez ?) ainsi que quelques autres bonus rares, dont ceux vus accrochés à l’exposition. Le monde serait alors parfait.
Bat signal !
Après Corben, il suffisait de redescendre tout le centre ville afin d’emprunter la toute nouvelle passerelle de la gare fraîchement inaugurée le jour même, afin d’accéder à l’exposition Batman, dans une des ailes de la médiathèque Alpha. Pas trop de queue en fin d’après-midi jeudi, mais cela n’allait pas durer. Il fallait, en effet, patienter près de 3 heures, vendredi matin, pour pouvoir espérer la contempler.
On entre en rez de jardin dans une pièce sombre, un peu étroite, et l’on comprend vite l’impression recherchée : nous sommes à Gotham. Les rues sont sales, le crime rode, des affiches se décollent, les rats sortent des poubelles. Au fur et à mesure que l’histoire de Detective comics et de Batman nous est contée par le biais de mini panneaux couleur aux murs, on accède dans le manoir Wayne. Tout d’abord à sa bibliothèque bureau, puis à la Batcave. Et là, au son de dialogues enregistrés de films, l’ambiance nous prend.
Celles et ceux qui ont déjà vécu l’expérience des studios Warner Bros Harry Potter, à Londres, pourront peut-être se faire une (vague) idée de ce que cette scénographie provoque aux amateurs du personnage, tant la qualité de la mise en scène est réussie. On s’y croirait.
Et alors que l’on bifurque vers un ascenseur fictif, sensé nous amener à l’extérieur, on intègre un couloir sombre dévoilant des cellules de l’asile d’Arkham. Bing ! Et si chaque méchant n’est présent que par le biais d’une peinture sur un pan de mur, toute sa folie suinte à travers les vrais faux barreaux à moitié tordus. Tous se sont échappés, sauf…le Joker, enfermé dans une cage de plexiglas, nous tançant de son regard démoniaque.
Et puis, après un passage obligé sur les années dynamiques des dessins animés et des nombreuses adaptations en comics par les plus grands artistes internationaux, toujours sous forme de reproductions couleur choisies : « tin tiiin » : la salle des originaux !
Et là, on tombe par terre. Des années de concertation avec Warner pour pouvoir monter cette exposition, un budget incroyable (plus de 200.000€), et à l’arrachée, la possibilité d’obtenir ce « bonus » qui rendrait fou beaucoup d’amateurs : le prêt d’un collectionneur privé américain.
Y sont-ils tous ? Peut-être pas. Mais voir à 360 degrés autour de soi des planches de Batman dessinées par Alan Davis, Jim Aparo, Neal Adams, Frank Miller, Alan Davis, Kelley Jones, Darwyn Cooke, Denis Sire, Tim Sale, Marini…etc, c’est un peu comme si cette visite dans ce tunnel n’avait été qu’un rêve éveillé. Et dire qu’elle n’était disponible que quatre jours seulement !
…En sortant prendre l’air, la Batmobile était pourtant bien là. Pour combien de temps cependant encore, elle ?
> A lire : On aurait pu espérer un catalogue, mais vu le contexte et l’extraordinaire de l’exposition, cela n’a pas été possible. On y remédiera sans souci en acquérant entre autre le formidable numéro Hors-série des Cahiers de la bande dessinée « nouvelle formule » consacré au héros de Gotham : « Batman : pourquoi il revient toujours ? » Un numéro cartonné du tonnerre, resituant le contexte historique, éditorial, les personnages, avec des fiches, des articles érudits rarement vus en France dans une seule revue, mais aussi des récits courts inédits, une bibliographie… Bref : un incontournable pour tout amateur de la chauve-souris !
Quant aux comics, ne manquez pas le recueil « Dark Knight III » de Frank Miller et Brian Azzarello, paru ce mois-ci chez Urban comics. C’est une réussite complétant bien la bibliographie du personnage.
Déambulations
Passer deux jours seulement à Angoulême n’est pas une sinécure, sauf si l’on a un programme préétabli. Il faut bien sûr connaître assez bien les endroits et se tenir à un timing. Le mien avait prévu une interview des auteurs alternatifs américains Noah van Sciver et Charles Forsman, publiés tous deux en France par l’éditeur belge indépendant l’Employé du moi.
Cet éditeur a le mérite, avec d’autre bien sûr, de mettre en avant une certaine scène alternative américaine. Une scène éditée aux Etats-Unis surtout par les éditions Fantagraphics. Si Charles Forsman, jeune homme de 36 ans a été révélé récemment aux yeux du grand public par l’adaptation sur Netflix de son comics « It’s the End of the Fucking World », c’est surtout de son dernier titre récompensé : « Pauvre Sydney », parlant d’une adolescente en mal de vivre dont je souhaitais parler.
Quant à Noah Van Sciver, j’avais eu l’occasion de le lire dans un extrait de son titre « Fante Bukowski », publié dans le fascicule Free Comic Books Day 2017 Américain. Les choses étant bien faites, le troisième et dernier volume de ce triptyque traitant d’un pseudo poète loser à Columbus, de nos jours, était publié ce mois de janvier en France. L’interview des auteurs suivra dans un article à part…
En restant dans l’international, mais en changeant de continent, j’ai eu l’opportunité de m’arrêter sur le stand de la structure libanaise Samandal, éditrice de la revue du même nom. On avait déjà eu l’occasion d’en parler lors du Lyon BD festival en juin, et il se trouve que la dernière parution du collectif : Expérimentation, a obtenu le Fauve de la BD alternative samedi 26.
Expérimentation est leur cinquième anthologie et regroupe des récits en français, en anglais, en arabe et en langage muet, sous la direction d’Alex Baladi. J’ai préféré acquérir la dernière copie du précédent numéro : « Topie » de 2017, que Raphaelle Macaron, la rédactrice en chef, et l’autrice Tracy Chahman ont eu la gentillesse de me dédicacer. La bande dessinée arabe se porte plutôt bien, et elle le fait savoir, avec sourire.
Pas très loin, et en restant sur le continent africain, les éditions Stéphanoises Jarjille accueillaient entre autre Leah Touitou, ainsi que son ex collègue d’atelier lyonnaise Anjale. Toutes deux signaient « Julie et les oiseaux », un joli album cartonné grand format, plutôt jeunesse, pour lequel Léah assure pour la première fois le scénario. Un conte plein de tendresse sur les gros mots à l’école, dessiné au crayon gras par une jeune Anjale que l’on suivra avec intérêt.
Léah de son côté dédicaçait le deuxième tome de son carnet de voyage au Sénégal entamé avec « Café Touba » l’année dernière. « Sunu Gaal » continue, dans le style maintenant établi et maîtrisé de la demoiselle malicieuse à nous entrainer, avec un dessin souple à l’encre noire et lavis dans les souvenir d’une aventure humaine, certes poétique, culturelle et sociale, mais aussi très réaliste. Un indispensable dans le genre aujourd’hui.
Assez proches aussi, Michel Jans et ses collègues des éditions Mosquito présentaient leurs nouveautés, dont le nouveau Vianelo : « Une Ile lointaine », et « Perceforest » de Francois Deflandre. Mais c’est un des excellents Dylan Dog, par Corrado Roi et Barbara Baraldi : « Berceuse macabre » à paraître en avril, qui a fait ma joie. Que de noirs et blancs délicieux chez Mosquito. J’en raffole.
Je vous recommande aussi une prochaine parution prévue en mars :
« Quarante cercueils », de Jok et Santullo, sur le voyage de Dracula en bateau pour l’Angleterre, dont vous me direz des nouvelles. Chroniques détaillées prochainement sur le site.
Pour finir, comment ne pas citer le travail toujours exceptionnel et engagé de Mickael Géreaume, (aidé cette fois-ci par Marie Paule Noel) au sein de la structure Komics initiative ? Celle-ci a lancé une nouvelle campagne Ullule au début du festival pour un titre patrimonial qui fera date, n’en doutons pas : « Wimmen’s Comix ». L’adaptation en français d’un travail de recueil opéré par Fantagraphics en 2016, mettant en lumière les œuvres d’autrices féminines de comics engagés des années soixante et soixante-dix. Deux beaux volumes envisagés dans un coffret, où l’on trouvera en bonus des inédits réalisés pour l’occasion. A suivre… sur Ullule, dès maintenant !
Il y a eu beaucoup d’autres choses vues, et à voir, mais cet article n’est qu’un aperçu subjectif d’une certaine visite sur deux jours, axée sur quelques coups de cœur.
Vive les bandes dessinées, toutes les bandes dessinées !
Franck GUIGUE
Anthony Dugenest, « patron » des petites éditions Wanga comics, éditeur angoumoisin mais aussi dessinateur doué, présentait ses dernières licences alternatives américaines, dont le titre phare est « Ultra Duck » par Edgar Delgado et Omar Lozano. Un comics sympa surfant sur les thématiques et figures de Spider-man et Flash, mais avec un super-héros à l’apparence d’Howard the Duck.
Dessin « école » Umberto Ramos dynamique et agréable, histoire plaisante. Wanga comics trace son bonhomme de chemin depuis déjà quinze ans, mine de rien.
Merci pour ce beau reportage!
Avec plaisir Michel. Merci.
Ping : Wimmen’s Comix – Marie-Paule Noël